PESTEL, L’UNE DES FIGURES FLAGELLÉES DU RÉGIME DUVALIÉRISTE
Le 22 octobre 1957, François Duvalier (1957_1971), le compagnon de Daniel Fignolé fils du terroir de Pestel à MOP (Mouvement des Ouvriers Paysans) qui venait de participer à une élection entachée de fraudes le 20 Septembre, prit le règne du pays suite à une longue période de crise politique récurrente marquée par l’agitation sociale et l’instabilité politique. De 1957 à 1986, sous ce règne, Haïti a été le théâtre de violations systématiques des droits humains et a connu la dictature la plus féroce ou la plus meurtrière de toute son histoire. L’arrivée de Duvalier au pouvoir a inauguré en même temps une page émouvante dans l’histoire de Pestel dans ses luttes pour les conquêtes sociales dans lesquelles elle s’était engagée depuis la présidence d’Alexandre Pétion (1806_1818). Pestel, pendant ce quart de siècle, tomba dans l’oubli. Arrestations illégales, persécutions politiques, exils forcés, tentatives d’assassinat, intimidations, tortures, tels étaient les sorts connus par bon nombre de Pestelois adversaires farouches de ce régime.
Ce texte est conçu pour remonter les faits terribles qui se sont passés à Pestel au temps des Duvalier. Voici ce qui s’est passé;
Les premiers mois de Duvalier au pouvoir furent marqués par la nomination de Tardieu Auguste comme maire de la commune. Spéculateur, il fut le premier Pestelois à pouvoir se rallier à la cause de Duvalier. Durant ses seize ans de règne (1957-1973), il imposa une peur de cimétière. Ceci dit, il intimida et persécuta les adversaires farouches du régime.
D’entrée de jeu, en 1958, Duvalier persécuta les Gilles qui sympathisèrent à Clément Jumelle. Il fait emprisonner le Dr Pierre Noel, époux de Carmen Gilles et fondateur de la Maternité la Paix. Très connu, Dr Pierre Noël aura la vie saine et sauve grâce à l’intervention de quelques diplomates occidentaux qui appréciaient ses oeuvres. Suite à cela, il est contraint à l’exil.
Le Dr Pierre Gilles, fils du sénateur Louis Delorme Gilles, était également la cible des Duvalieristes. Il est arrêté en compagnie de son ami maitre Dalencour alors professeur à la faculté de droit de Port-au-Prince et ancien commissaire de gouvernement, de sa fille Marlène fillette de trois ans, de son frère Hervé Laplanche et son cousin Yoland Gilles sous l’accusation d’être venu à Pestel pour trouver un abri à Ducasse Jumelle, alors dans le maquis. Ils sont envoyés à Jérémie. Ils seront libérés sur ordre du Capitaine John Beauvoix alors un ami de longue date de mtre Dalencour. Les informations laissaient croire que cette dénonciation a été fomentée par Benoit Dubosse et de Delienne Sanon, deux partisans zélés de Duvalier.
De retour à Port-au-Prince, la voiture à bord de laquelle se trouve Dr Pierre Gilles et ses compagnons dont une alerte était signalée a été intercepté à Aquin par une patrouille militaire. Ils seront expressement expédiés aux Cayes sur ordre du colonel Gaston Georges, alors chef de police du département du Sud. Ils seront libérés cinq jours plus tard grâce à l’intervention de Madame Sambala, une commerçante sur place et une bonne amie de la famille. Ils ont été bien traités par le Colonel Gaston Georges qui connaissait très bien Mtre Dalencourt lorsqu’il était étudiant à la Faculté de Droit.
Dans l’intervalle de 1958 à 1959, Pierre Gilles part en exil pour les Etats Unis. Son départ forcé sera suivi de l’exil d’autres membres de la famille: son épouse Jeannie, son frère Roger et la disparition de Franckel Desilier, un membre de la famille.
Le bruit courut dans la commune que le président François Duvalier menace la ville d’incendie en cas de soulèvement. Une expérience que les Pestelois ne souhaitaient pas revivre. C’est pourquoi bon nombre de Fignolistes, sous ce prétexte, passèrent sans hésitation dans le Camp de Duvalier. La plupart d’entre eux allèrent être enrôlés dans le corps des Tontons Macoutes pour pouvoir épargner des mauvais sorts du régime. On peut citer à titre d’exemples Gousse Romain, Gabriel Douzable, Benoît Dubosse et Delienne Sanon respectivement chefs de VSN et juges de paix.
D’année en année, les persécutions et les intimidations se multiplièrent; il ne se passa une semaine sans abus de pouvoir, exactions.
On est en 1960 lorsque le ministre Léonce Bernard fut sommé de quitter rapidement la commune. Cet ultimatum lui eut été donné par un groupe de militaires venant de Jérémie. Sa présence n’était désirée ni par le maire Tardieu Auguste ni par le Révérend Père Marius, deux Tontons Macoutes convaincus. Jusqu’à son trépas, Léonce ne remit plus les pieds à Pestel.
En 1961, il se passa d’autres choses. Le principal fait saillant c’était la de Ney Delorme Gilles et de François Chéron au cabinet de Luc François, alors ministre de la justice sous l’accusation de tentative d’assassinat sur la personne du Révérend Père Marius. Une accusation qu’ils ont rejetée. Pour rappel, le ministre Luc François connaissait Ney Delorme Gilles quand il était sénateur sous la présidence de Paul Eugene Magloire. Ce qui fut joué en sa faveur dans cette affaire.
Neufs ans plus tard, pour un tract dont la mention fut “À BAS DUVALIER ” retrouvé sur le pavé à la basse-ville au lendemain d’une soirée ponctuée de l’animation d’un groupe de troubadour, Yoland Gilles, Antoine Gilles, Paul Alcégaire et Lucien Joseph furent arrêtés.
Le lieutenant Volmar alors commandant du district de Corail porta sur les lieux à Pestel aussitôt qu’il eut été informé de cette qui prévala dans la commune. Pour cette affaire de tract, Ney Delorme, Louis Delorme Gilles et Leonidas Bernard furent également inculpés. Tout de suite après leur audition, ils furent relâchés.
Quant à Yoland Gilles, Antoine Gilles, Paul Alcégaire et Lucien Joseph, ils seront libérés après cinq jour d’emprissonement.
Leur liberation sera suivie de l’arrestation de Jean Nerva Antoine l’inculpant lui aussi pour cette même affaire de tract.
Cette série d’arrestation se poursuivit de jour en jour;
On rapporte qu’au lendemain de la fête Saint Bernard, patron de la chapelle de Jean Bellune, Louis Ney Gilles dit Ti Loulou, Bellevue Thomas et Alphonse Gilles se sont échappés belle à une arrestation. Ils ont eu le temps de laisser la commune après avoir été informés par Bertrand Gilles de leur éventuelle arrestation.
Emmanuel Bazile, chargé d’apporter la lettre à Jérémie, se rendit jusqu’à Trou bois chez Bertrand pour lui communiquer le contenu de la lettre. Voilà comment la nouvelle est parvenue à Louis Ney, Alphonse et à Bellevue.
Une fois informés de cela, Louis Ney et ses compagnons durent marcher plusieurs kilomètres à pied jusqu’à Cavaillon pour aller rencontrer Jean Baptiste Larosilière, alors préfet des Cayes aux fins de lui solliciter la main forte dans cette affaire. Ce qui fut fait. Larosilière était alors l’oncle de Marie Thérèse, conjointe de Louis Ney.
Parallèlement, dans l’intervalle du règne de François Duvalier, aucun Pestelois ne siégea au parlement haïtien. Dalvanor Etienne ( 11oct.1957-10avril 1961 & 12 mai1961-10 avril 1967) natif des Roseaux, fut député de la circonscription à deux reprises. Cela était également valable pour le natif de Jérémie, Valès Beauboeuf (10 avril 1967-8 avril1973 & égislature : 9 avril1973-8 avril1979 ). Le bilan de leur mandat est nul.
En plus de cela, plusieurs commerçants et spéculateurs persécutés de temps à autres laissèrent la commune. Ce fut à ce moment que l’économie Pesteloise commença à tomber en décrépitude. Les jours n’étaient pas aussi heureux pour la majorité des Pestelois qui attendaient le retour de Daniel Fignolé au pouvoir. Beaucoup de paysans étaient victimes d’abus de pouvoir de la part des Tontons Macoutes. Ils étaient astreints à une justice de faveur ou monnayée.
La réélection de Valès Beauboeuf au poste de député de Corail et de Pestel était conditionnée par l’éviction de Tardieu Auguste à la tête de la mairie. Ça a été l’une des revendications inscrites dans le cashier des doléances de la jeunesse pesteloise remis à Beauboeuf lors d’une rencontre que celui-ci a pu organiser.
Le 10 avril 1967 lorsqu’il fut repris siège, il a tenu son engagement envers les jeunes qui ont voté pour lui. Tardieu Auguste se vit virer par Beauboeuf et remplacer par Laurent Lemite, un homme honnête et paissible de nature. Sa présence à la magistrature de la commune a diminué les cas de persécution et d’intimidation.
Mais il a fallu attendre la nomination de Gérard Sanon comme chef des Tontons Macoutes de la commune pour que puiss débuter une nouvelle vague d’intimidation et de persécution contre les adversaires farouches du pouvoir. Dans la foulée, un jeune garçon de 19 ans répondant au nom de Gabriel Rodney fut arrêté sous chef d’accusation de destruction du poster du président Jean Claude Duvalier avant d’être transféré à Jérémie. Un acte qui a suscité autant d’effrois et des réactions brutales dans la communauté. Tant d’autres jeunes connurent de temps à autres la prison. On peut citer à titre d’exemples Joseph Gasner Jean Charles.
En 1979, malgré les pressions exercées sur le pouvoir par le président Jimmy Carter, le gouvernement persista dans ses pratiques de corruption électorale et d’intimidation politique. Tout le monde se rappelle des élections législatives et municipales du 11 février de cette année emaillées de fraudes. Selon les données disponibles, environ 300 candidats briguaient l’élection, dont presque tous étaient partisans du président Jean-Claude Duvalier. Une des victimes de ces élections, c’était Antoine Gilles, spéculateur, ancien maire et notaire, homme très populaire. Anti-Duvaliériste farouche et arrêté à plusieurs reprises, Antoine Gilles perdit les élections face à son rival Edner Antoine de Beaumont. Car celui-ci était un proche du pouvoir. Les militaires déployés sur place contraignirent les électeurs à voter pour Abner Antoine. Gagnant des élections, Edner Antoine ( 9 avril 1979- 27 aout 1983 ) n’a pas fait mieux que ses deux prédecesseurs.
Entre temps, Révérend Père Ernest Legarec ne ménagea pas ses mots à l’endroit des Tontons Macoutes qui brutalisèrent la population et commirent de graves forfaits.
L’année 1983 s’ouvrit par l’annonce de l’organisation des élections pour le renouvellement de la Chambre des députés. Yoland Gilles, fraichement revenu des Etats Unis, sur demande de ses proches, se porta candidat dans les élections annoncées. Activiste politique, spéculateur, musicien, notable très connu, Yoland jouit d’une grande popularité dans la commune. Il se vit aider par des jeunes dont on peut citer à titre d’exemples Marcel Gilles, Jocelyn Sanon, Patrick Gilles, Gabriel Douzable.
Dans ces élections, Yoland affronta son beau frère Fritz Laplanche, celui qui se proclama candidat officiel, Daniel Etienne natif des Roseaux, et son ami Fréderic Chéron. La commune en grande partie se mobilisa derrière lui. Le slogan était « tout pwèl nan bouda m se pou Bwayo ». Bwayo est alors le surnom qu’on donne à Yoland. Pendant le déroulement, la tension monta de toutes parts.
Le jour des élections, Yoland séjournait à Roseaux pendant cette journée juste pour essayer d’influencer certains électeurs. Quand Daniel Etienne en eut été informé, il fit comprendre à Yoland qu’il cesse plus tard d’être candidat pour se vêtir de son costume de macoute.
Dans l’intervalle, à Duchity les Chéron ont tenté par tous les moyens pour intimider les partisans de Yoland de sorte qu’ils ne puissent pas voter pour lui, selon ce qui est rapporté par la tradition familiale. A l’exception de ce centre de vote, les résultats lui étaient favorables au niveau de la commune. À Roseaux, il eut seulement 90 voix; ce fut presque le même constat à Beaumont. Après la fermeture des portes des bureaux de vote, Yoland était on ne peut plus pessimiste. Quand il fut arrivé chez son frère Bertrand à Trou-Bois, il eut à dire : « je perds les élections, mais ma plus grande satisfaction c’est que ce n’est pas Fritz qui sera élu ».
Le lendemain, le président Jean Claude Duvalier appela le Dr Pierre Mayas alors préfet de la Grand’anse pour s’informer de la tenue des élections dans la circonscription de Corail. Le préfet n’ira pas par quatre chemins pour lui dire que les résultats sont tombés en faveur de Yoland et qu’on ne peut pas faire autrement. Chose dite fut faite dans l’intervalle d’une semaine.
La nouvelle fut tombée comme annoncée. Yoland est élu. Les Pestelois se défilèrent au son des tambours et des bambous tout en entonnant « Yoland peyi a se peyi pou ou, kale bouda ou jan ou vle ». Alors que Yoland revenait de Jérémie, une foule l’attendait depuis Carrefour Lafièvre, et l’amena jusqu’à chez lui. Bien avant que Yoland arrive sur le Quai de Pestel, un bateau partant de Corail était déjà venu annoncer la nouvelle aux Pestelois. Réjouissance populaire pour les partisans et sympathisants.
Ce 12 février 1984 date au cours de laquelle Yoland fit sa rentrée parlementaire à la Chambre des députés. Son mandat a marqué du même coup la fin de l’hégémonie des hommes de Corail, de Beaumont ou des Roseaux sur la commune de Pestel. Une chose que les Pestelois n’ont jamais digéré.
Tout a pris fin le 07 février 1986 lorsque le président Jean Claude Duvalier a remis le pouvoir. La fin de ce régime marque un ouf de soulagement pour plusieurs Pestelois. Les gens se déambulèrent dans une ambiance de fête et de réactions brutales. Un des dégâts douloureux de cette journée fut la destruction de la toiture du grand citerne du centre-ville construit en 1935 sous la présidence de Sténio Vincent. Elle fut aussi marquée par des agissements de certains membres de la population sur quelques Duvaliéristes notoires.
Pestel ne peut pas oublier cette période marquée par sa reddition sur la scène politique qui tend à sombrer dans l’oubli. Les séquelles sont encore visibles. Et les victimes portent encore les cicatrices de leurs tortures, de leurs persécutions ou de leur exil forcé. Pestel garde les souvenirs cauchemardesques de son fils Daniel Fignolé déchouqué au pouvoir, de ses fils bastonnés, humiliés et contraints à l’exil et de son économie tombée en décrépitude. Pestel n’est plus prête à revivre une telle expérience.
Sources
CAVE, Eddy, de mémoire de Jérémien, Tome II, Les Editions CIDIHCA, Montreal 2016
https://www.lenouvelliste.com/article/187974/une-geste-trempee-de-larmes-lhistoire-moderne-du-pays-revisitee-par-le-dr-rony-gilot
https://fr.qwe.wiki/wiki/Haitian_parliamentary_election,_1979
Propos recueillis de Yoland Gilles et de St Victor Louis
James St Germain
